La Professeure Silvana Perretta est vice-présidente de l’IRCAD et directrice de la formation à l’IHU. Décorée cette année de la Légion d’honneur et membre de l’académie nationale de chirurgie, le Pr Silvana Perretta ne ménage ni son temps ni son énergie et tient avec fierté sa place de femme dans un milieu triplement masculin : la chirurgie, l’enseignement universitaire et l’innovation.
La professeure Silvana Perretta est née en Italie, à Rome. Issue d’une famille de médecins, elle a su très tôt qu’elle se dirigerait vers la chirurgie :
« La chirurgie représente le dynamisme, être toujours dans l’action. Il faut avoir l’envie de se renouveler dans ses pratiques et se poser les bonnes questions chaque jour parce que chaque patient est unique »
Pour sa deuxième année d’internat, elle s’envole pour San Francisco où elle découvre ses domaines de prédilection : la chirurgie œsogastrique, la physiologie du tube digestif et la chirurgie endoscopique.
Strasbourg mon amour
Guidée par cette soif d’innovation et de nouvelles pratiques, la Pr. Perretta rejoint l’équipe du Pr. Marescaux à l’IRCAD en 2006 pour ce qui devait être une année d’hyperspécialisation (plus communément appelée fellowship).
« Je cherchais un centre où il était possible de faire et d’apprendre en même temps, dans le domaine de la chirurgie mini-invasive, avec des chirurgiens qui étaient tout aussi curieux que moi sur ces nouvelles technologies. »
Elle fera partie de l’équipe qui réalisera en 2007 une première mondiale à Strasbourg : l’ablation de la vésicule biliaire par endoscopie, sans suture ni cicatrice.
« Strasbourg est une ville internationale où la culture et les cerveaux se croisent, se mêlent et s’enrichissent. Les moyens sont là pour stimuler l’innovation ; nous pouvons rapidement transformer l’idée en projet grâce à l’incubateur, aux fonds financiers et aux compétences florissantes sur le territoire. »
L’environnement scientifique et médical l’ont convaincue de rester. L’IRCAD, puis l’IHU ont permis à l’intelligence collective de se fédérer autour des projets qu’elle va lancer, notamment en ayant recours aux approches hybrides et multidisciplinaires.
L’endoscopie chirurgicale digestive : une pratique en passe de révolutionner la chirurgie
L’endoscopie permet d’explorer un organe, par le biais d’un endoscope rigide ou souple, muni d’une caméra et d’une lampe. On peut observer l’aspect d’un organe, voir de quelle façon il va fonctionner – voire dysfonctionner – et ainsi poser, en général, un diagnostic. Aujourd’hui, avec les techniques modernes d’endoscopie rigide (laparoscopie ou coelioscopie) et, plus récemment, flexible, il est possible également de traiter de nombreuses pathologies du tube digestif. La combinaison des deux approches améliore leur prise en charge. C’est ce pour quoi militent la Pr. Silvana Perretta et ses équipes :
« Durant près de 15 ans, j’ai été l’une des seules chirurgiennes en France à pratiquer l’endoscopie flexible interventionnelle qui était dans le champ d’action des gastro-entérologues. Aujourd’hui, les cloisonnements entre spécialité tendent fort heureusement à s’estomper au bénéfice d’une meilleure réponse aux besoins spécifiques des patients. En effet, il faut bien réfléchir à la pathologie du patient, sa qualité et son mode de vie, et ainsi adapter l’outil au patient, mais pas l’inverse. Nous nous dirigeons vers une médecine multidisciplinaire de précision et personnalisée. »
Quinze ans plus tard, avec un titre de Professeur d’Université-Praticien Hospitalier (PU-PH), la Pr. Silvana Perretta est devenue Vice-Présidente de l’IRCAD et Directrice de la formation de l’IHU, dans lequel elle peut démocratiser ces techniques, sur la base de son expérience.
Ancrée dans la réalité, tournée vers le futur
« Le milieu scientifique et universitaire strasbourgeois est exceptionnel pour un chirurgien curieux. Je compare souvent ce creuset à une pâtisserie, on y entre et on peut y trouver tout ce que l’on veut. L’environnement est dynamique, multidisciplinaire et riche, notamment entre les différents publics que l’on peut y rencontrer : ingénieurs, chercheurs, patients et professionnels de santé ».
Mais alors, comment gérer une vie faites de toutes ces casquettes ? La Pr. Perretta nous l’assure, les journées sont longues, et il faut faire preuve de résistance tant physique que mentale. La passion guide au quotidien cette chirurgienne, qui d’emblée commence sa journée par un point avec ses collègues soignants en amont des opérations qui vont suivre.
« Commencer avec du concret : le patient. Que va-t-il se passer ? Comment opérer au mieux ? Quelle équipe ? Quel matériel ? il faut commencer par la priorité, à savoir l’humain, qui nous rappelle ce qu’est la réalité. »
Le reste de la journée est consacrée à la recherche, à l’enseignement, à l’accompagnement des jeunes chercheurs dans les projets. La volonté de l’IRCAD puis de l’IHU, de casser les silos entre les métiers d’ingénierie, de recherche et des soignants, permet de créer des dispositifs mais aussi et surtout les métiers de demain.
Le futur de la chirurgie ? Éviter la chirurgie !
Décorée de la Légion d’honneur, la Pr. Perretta cumule les succès, mais aussi les engagements et les responsabilités. Alors comment ne pas se perdre ? Elle nous explique :
« La clé est de rester curieux et humble. La chirurgie, l’innovation et être une femme n’autorisent aucune médiocrité. Nous sommes dans un cadre d’excellence, alors nous devons être au top niveau. La possibilité d’interagir, via l’IRCAD et l’IHU, avec plus de 7000 experts et étudiants du monde entier est une richesse extraordinaire au quotidien. »
Et quand la Pr. Perretta se met à rêver du futur de son métier de chirurgienne, elle évoque :
« Aussi paradoxal que cela puisse être, mon rêve serait de pouvoir proposer au patient un traitement qui soignerait sa pathologie sans intervenir chirurgicalement. Idéalement, le diagnostic serait si précoce que nous n’opérerions plus mais serions davantage dans le curatif. Ne plus du tout toucher à l’enveloppe corporelle du patient. L’endoscopie flexible offre la possibilité de mieux cibler les dysfonctionnements internes par le biais des voies naturelles. L’utilisation intelligente de l’imagerie lourde (scanner et IRM) et fine (fluorescence) permet à la laparoscopie de personnaliser le traitement chirurgical et apporte davantage d’efficacité dans la guérison de certains cancers digestifs. Nous ne sommes plus dans le traitement de masse, mais dans un cadre de soins individualisés ».
Les évolutions attendues et espérées dans l’innovation chirurgicale
Pour la Pr. Perretta, l’innovation chirurgicale du futur passera par une meilleure utilisation de nos moyens actuels. L’IA devrait nous permettre, avec les données collectées de proposer des schémas thérapeutiques différents sur une large échelle pour prédire les complications et évolutions des maladies. Son souhait est de voir se démocratiser l’endoscopie rigide et flexible afin de renforcer la chirurgie mini-invasive par le biais par exemple de robots chirurgicaux. Même si la chirurgie laparoscopique et l’endoscopie interventionnelle font aujourd’hui partie des soins standards, les besoins de formation sont réels afin de démocratiser les savoir-faire et exprimer tout leur potentiel.
« La chirurgie d’aujourd’hui est fondée sur les évidences cliniques et non pas sur les éminences. Historiquement nous nous sommes appuyés sur les recommandations des sommités en chirurgie. Aujourd’hui, nous devons composer avec les évidences cliniques internationales et la mise en commun de toutes les données disponibles. La même intervention peut être pratiquée de mille façons, laissons les données nous indiquer la méthodologie pour un patient donné, dans une situation précise. »
La place des femmes dans la chirurgie
Alors que 70% des étudiants en médecine sont des femmes, seules 30% deviennent chirurgiennes. Cette statistique est d’autant plus étonnante que les meilleures élèves au concours national de médecine sont des femmes, mais ces dernières ne suivent pas leurs spécialités dans des domaines chirurgicaux. Outre la question de la mixité des professions, cela est dommageable puisque les meilleurs profils d’internes pour la chirurgie ne seront pas, au final, les meilleures élèves.
Cet écart est encore plus marqué dans des domaines tels que l’orthopédie, la neurochirurgie ou encore le digestif. Pour celles qui bravent les statistiques, nous les retrouvons plutôt dans des domaines où le stéréotype de la femme « maternelle » peut s’expliquer : la chirurgie infantile et la gynécologie-obstétrique.
« Les domaines sous-représentés par les femmes sont actuellement dominés par les hommes, il manque encore un cruel leadership féminin dans ces spécialités. Dans l’inconscient (ou conscient) collectif, la femme ne pourra pas mener de front sa carrière et ses ambitions familiales. Or, c’est sous-estimer la capacité que nous avons, à travers notre énergie et notre intelligence, à faire tout ce que nous souhaitons faire. »
Pour la Pr. Perretta, la solution réside d’une part dans l’exemple à donner aux jeunes femmes :
« Nous ne pouvons pas parler d’un sujet que nous ne connaissons pas. Dire aux jeunes femmes « allez-y, vous pouvez tout faire » alors que vous ne l’avez pas vécu, ce n’est pas crédible. Il faut montrer l’exemple et le dire malgré les embûches et en toute franchise ».
La deuxième étape est dans l’éducation, celle des femmes et des hommes.
« N’éduquez pas les filles comme des princesses, mais comme des battantes. Il faut que les femmes cessent de se mettre en situation d’infériorité et cela passe par l’éducation et la culture. Même dans des milieux académiques de pointe, où nous sommes entourés de cerveaux, la place des femmes est remise en question. Trop souvent les femmes sont reléguées dans les coulisses même si elles sont les protagonistes principales et les cheffes de file. Et le pire, c’est que cela ne choque personne, tout le monde s’en accommode. »
Ce phénomène est mondial excepté dans certains pays du nord, qui sont un peu plus avancés sur la question de la mixité. Concernant le harcèlement dans les milieux universitaires, la Pr. Perretta nous l’affirme, il est bien présent, mais de façon subtile et quotidienne, rarement frontal.
« Le pire est à vivre dans le milieu académique, peu dans le milieu hospitalier, en tout cas à Strasbourg. Nous, en tant que femmes, ne demandons pas à être favorisées, mais de bénéficier des mêmes traitements et opportunités que nos confrères masculins. Les femmes doivent se mobiliser et donner l’exemple afin que cette règle soit appliquée au quotidien. Madeleine Albright disait « il existe une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes » et je suis totalement en accord avec cela. »
Mère d’une jeune femme de 18 ans, qui, elle le rappelle, lui « donne de la force et du courage à chaque instant », la Pr. Perretta lui a transmis ces valeurs acquises tout au long de son parcours.
« Il faut travailler deux fois plus que les hommes, aucune médiocrité n’est permise, c’est un luxe que nous les femmes ne pouvons nous permettre. »